Je me souviens encore de cette première gorgée, tiède et un peu étrange, prise dans un bol en terre cuite entre les rires d’un petit groupe de femmes quechuas. Nous étions assises en cercle dans une cuisine de Cusco, les murs ornés de piments séchés et d’épis de maïs suspendus au plafond. C’est là que j’ai rencontré la Chicha, la bière des Incas. Une boisson ancienne, fermentée, sacrée, qui m’a immédiatement propulsée dans un pan de l’histoire que les circuits touristiques classiques effleurent à peine.
Dans ce billet un peu particulier, je vous emmène à la découverte de cette boisson ancestrale, entre traditions, mysticisme et immersion. Si vous cherchez un voyage vraiment insolite, loin des sentiers battus, suivez-moi : la Chicha a bien des secrets à révéler.


Un breuvage millénaire : aux origines de la Chicha
La Chicha, souvent surnommée "bière des Incas", est une boisson fermentée à base de maïs, consommée depuis des millénaires dans les Andes. Bien avant l’arrivée des Espagnols, les civilisations précolombiennes la produisaient déjà, non pas pour s’enivrer, mais pour communiquer avec les dieux.
Ce n’est pas une bière au sens strict – elle ne contient ni houblon, ni gaz – mais sa fermentation douce lui confère un léger degré d’alcool, souvent compris entre 1 et 3 %. Elle existe en plusieurs variantes, mais la plus connue reste la Chicha de jora, à base de maïs jaune fermenté.
Plus qu’une boisson : un rituel sacré
Ce qui m’a fascinée en découvrant la Chicha, ce n’est pas seulement son goût (quoique surprenant, il devient vite familier), mais surtout l’univers symbolique et social qu’elle incarne.
Chez les Incas, la Chicha jouait un rôle central dans les cérémonies religieuses, les mariages, les naissances, les fêtes agricoles. On l’offrait à la Pachamama, la déesse Terre, en la versant au sol avant de boire. Encore aujourd’hui, ce geste – appelé “la challa” – est resté.
Dans les campagnes andines, boire de la Chicha, c’est partager un moment d’unité. C’est une manière d’honorer les ancêtres, de tisser des liens entre générations, de célébrer la fertilité des champs.
Et ça, aucun guide touristique ne vous le racontera comme les yeux pétillants d’une vieille mama andine vous l’expliquant autour d’un feu de bois.
Comment fabrique-t-on la Chicha ?
La recette de la Chicha de jora varie légèrement selon les régions, mais le processus traditionnel reste le même depuis des siècles.
Étape 1 : le maïs germé (la jora)
Tout commence avec le maïs jaune, qu’on humidifie et laisse germer pendant plusieurs jours. Cette germination libère les enzymes nécessaires à la transformation de l’amidon en sucre.
Étape 2 : la cuisson
Le maïs germé est ensuite bouilli pendant plusieurs heures dans de grandes marmites en argile ou en cuivre. Parfois, on y ajoute des épices locales, des fruits ou des feuilles de coca selon les traditions.
Étape 3 : la fermentation
Le liquide obtenu est filtré, puis mis à fermenter dans de grands récipients, souvent en argile. La fermentation dure entre 3 et 7 jours. Le résultat ? Une boisson légèrement pétillante, trouble, à la robe dorée ou brunâtre, selon les ingrédients.


La variante étonnante : la Chicha mastiquée
Si vous êtes amateur·rice de traditions vraiment insolites, sachez qu’il existe une autre forme de Chicha... préparée à la salive !
Oui, vous avez bien lu.
Dans certaines communautés, notamment en Amazonie péruvienne, la Chicha est faite à partir de manioc que les femmes mâchent longuement avant de le recracher. La salive joue ici le rôle d’enzyme pour déclencher la fermentation.
Je ne vous cache pas que j’ai hésité avant d’y goûter. Et pourtant, autour de moi, tout le monde buvait joyeusement, comme si cette Chicha portait quelque chose de plus fort que le simple goût : la transmission d’un savoir, d’un lien communautaire, d’un acte d’amour ancestral.
Où goûter la Chicha aujourd’hui ?
Si cette aventure gustative vous tente, sachez qu’il est encore possible de déguster la Chicha comme autrefois. Mais pour cela, il faut sortir des sentiers touristiques, oublier les hôtels de luxe, et s’enfoncer dans les villages andins.
Voici quelques endroits où j’ai vécu des expériences mémorables :
Cusco (Pérou)
Dans les hauteurs de San Blas, plusieurs familles ouvrent leurs portes aux curieux. Cherchez les maisons arborant un drapeau rouge fait d’un sac plastique accroché à un bâton : c’est le signe qu’on y sert de la Chicha. Ces lieux s’appellent des chicherías, souvent improvisées dans une cour intérieure.
Prix : 1 à 2 soles (0,25 à 0,50 €) le bol.
Pisac et la Vallée Sacrée
Certaines agences alternatives proposent des circuits autour des traditions vivantes incas, incluant la fabrication artisanale de la Chicha. On vous y apprend à faire germer le maïs, à filtrer, à goûter… une véritable immersion.
Arequipa
Dans les campagnes autour d’Arequipa, on trouve encore des fermes où la Chicha est préparée selon les méthodes ancestrales. Un petit détour par les marchés permet aussi d’en goûter des versions fruitées.
Une boisson au cœur des débats
À l’heure où la mondialisation standardise tout, la Chicha est devenue un symbole de résistance culturelle. Mais elle est aussi sujette à controverses : consommation d’alcool, hygiène douteuse dans certains cas, rejet par les jeunes générations au profit de la bière industrielle.
Et pourtant, elle survit. Elle inspire même des brasseurs contemporains, qui créent des bières artisanales à base de maïs fermenté. À Lima, Cusco ou Quito, des microbrasseries réinventent la Chicha dans une version "hipster" et pasteurisée, tout en gardant un pied dans la tradition.
Anecdotes de terrain : ce que la Chicha m’a appris
Je ne compte plus les moments magiques que j’ai vécus autour de cette boisson.
Un jour, à Chinchero, j’ai partagé une Chicha maison avec une tisserande de 75 ans, qui m’a appris à reconnaître les différents types de maïs rien qu’au toucher. Elle m’a aussi raconté comment, enfant, elle portait les jarres de fermentation jusqu’aux champs, pour offrir la première gorgée à la terre.
Un autre jour, j’ai assisté à un mariage traditionnel où la Chicha coulait à flots. Chaque invité devait faire une offrande avant de boire, sous peine de porter malheur aux mariés.
Des instants d’une authenticité bouleversante, qui donnent tout son sens à la notion de voyage insolite : celui qui nous transforme.
Pourquoi parler de la Chicha sur ce blog ?
Sur ce blog, je vous parle souvent de ces expériences décalées, inattendues, profondément humaines. Celles qui ne figurent pas dans les guides, celles qu’on découvre seulement en osant sortir du cadre.
La Chicha, la bière des Incas, en est un parfait exemple. Ce n’est pas une attraction, c’est un rituel. Ce n’est pas un produit marketing, c’est une mémoire vivante.
En partageant cette histoire, j’espère vous inspirer à tenter des expériences similaires : dire oui à l’inconnu, goûter ce qui semble étrange, vous asseoir avec des inconnus et écouter. Car au fond, c’est cela, le vrai luxe du voyage insolite.
Pour aller plus loin
Si ce sujet vous passionne, voici quelques pistes à explorer :
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Musée de la Chicha à La Paz (Bolivie)
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Ateliers artisanaux à Pisac (région de Cusco)
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Dégustation de bières artisanales à base de maïs à la microbrasserie Cervecería del Valle, à Urubamba
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Livres : “Chicha: The Sacred Drink of the Andes” (en anglais), ou encore les récits d’ethnologues comme Catherine Allen.
Et si vous préparez un voyage au Pérou ou en Équateur, n’hésitez pas à me poser vos questions ou à consulter les autres articles du blog. J’y partage des itinéraires insolites, des rencontres, des découvertes loin des clichés.
Goûter à la Chicha, c’est goûter à l’histoire, à la terre, aux traditions. C’est se reconnecter à une culture où chaque geste a du sens, où boire ensemble est un acte sacré. C’est accepter l’étrangeté, l’inconfort parfois, pour mieux s’ouvrir à l’autre.
Alors si, lors de votre prochain voyage, vous croisez ce petit drapeau rouge au détour d’un sentier andin, entrez. Prenez le bol de Chicha qu’on vous tend, souriez, et buvez.
À la Pachamama. À l’insolite. À la vie.
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